African Questions

Publications of Dr. Klaus Frhr. von der Ropp

Political Observer and Consultant on Southern African Issues

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Liptako-Gourma

Un projet à 3 en Afrique occidentale

Par le Dr Klaus Baron von der Ropp, Institut de recherches de politique internationale, Ebenhausen (Munich)

Les préparatifs des pays africains en vue des négociations, qui ont entre-temps déjà largement progressé, sur le nouveau règlement des relations entre les Communautés europeénnes élargies (CEE) et presque tous les Etats d'Afrique noire ont réanimé en Afrique la discussion, qui n'avait d'ailleurs jamais cessé, concernant les impératifs des ses propres amorces d'intégration. C'est précisement l'élargissement de la CEE par, entre autres, l'ancienne puissance coloniale Grande-Bretagne, qui a fait soulever aux pays africains en voie de développement, la question si eux-mêmes ne devaient pas à plus forte raison trouver au moins des formes similaires de coopération institutionalisée et de plus, si une telle politique ne méritait même la priorité sur les accords de coopération institutionalisée entre l'Afrique noire et l'Europe occidentale.

Ces discussions sont actuellement menées avec une intensité particulière dans l'ouest de l'Afrique, dont la politique et l'économie discordantes provenant de nombreux facteurs, cherchent en vain leurs pareils même dans les autres régions de l'Afrique subsaharienne. Car il existe dans cette région, mis à part le cas particulier de la Guinée-Bissau, 14 Etats indépendants du point de vue politique. Mais il semble que tous ces pays, c'est-à-dire même la Côte d'Ivoire par exemple, relativement si forte du point de vue économique, et å la seule exception de la République federale du Nigeria, ne seraient guère viables a la longue s'ils étaient réduits à eux-mêmes.

Les intégrations en Afrique occidentale

Cela explique entre autres pourquoi 6 Etats francophones d'Afrique occidentale à savoir la Mauritanie, le Sénégal, le Mali, la Haute-Volta, le Niger, et la Côte d'Ivoire, se sont unis au mois d'avril 1973 par la signature d'un traité correspondant et des protocoles A) jusqu'à J) afférents dans la Communauté économique de l'Afrique de l'ouest, CEAO. Dès les pourparlers de fondation, on discuta à fond et avec un soin particulier la question des relations de la nouvelle Communauté avec le Nigéria. Il semble même exact d'admettre que l'une des raisons essentielles de la durée anormalement longue des négociations du traité se situait dans les divergences d'opinions sur les relations des pays partenaires de la CEAO précisément avec le Nigéria. Car le potentiel humain et économique de ce pays ouest-africain est trop important pour qu”on puisse laisser son rôle aussi bien au sem de la CEAO qu'à l'extérieur de celle-ci au hasard.
Il semble qu'avant la signature du traité CEAO à Abidjan, presque tous les représentants des Etats participants aient fait remarquer que la CEAO n'était qu'une phase transitoire sur la voie de l'établissement d'une plus vaste alliance devant, à côté d'autres Etats tiers, comprendre absolument le Nigéria. Le Président du Sénégal, M. Senghor, fit dans ce contexte remarquer de façon plus claire que certains de ses homologues que pour des raisons d'équilibre de politique de puissance et donc de stabilité intérieure, la CEAO devrait au moment donné, être élargie non seulement en incorporant le Nigéria, mais également d'autres nations à puissance économique comme par exemple le Zaïre; M. Senghor parla même d'une Communauté s'étendant de la Mauritanie au nord jusqu'à l'Angola.
D'autre part, l'un des membres du Conseil présidentiel du Dahomey, dissous depuis, M. Apithy, proposa que les membres du Conseil de l'Entente, une alliance similaire à une conféderation comprenant la Côte d'Ivoire, la Haute-Volta, le Niger, le Togo et le Dahomey devraient s'unir avec le Ghana et le Nigéria pour former “L'Union du Bénin".
L'aspiration de réaliser en Afrique occidentale une coopération institutionalisée aussi vaste que possible, a éventuellement connu son point culminant provisoire dans la conférence qui eut lieu au mois de décembre 1973 dans la capitale togolaise Lomé, à la suite d'une initiative commune togolo-nigérianne. L'objectif des pourparlers quion y menait était la préparation d'une Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest (CDAO) incorporant tous les Etats indépendants d'Afrique occidentale. L'observateur de la scène ouest africaine devra donner aujourd-hui encore une réponse très sceptique si on l'interroge sur les chances de la fondation effective d'une aussi vaste Communauté. Cette appréciation se fonde surtout sur l'analyse du développement des Communautés dans d'autres régions de l'Afrique subsaharienne.

Les barrières d'une intégration

Ainsi qu'il a été démontré précisement par la récente histoire des Communautés européennes, et cela sous une forme très déprimante, cette alliance, qui pourrait en bien des points constituer un exemple pour les amorces d'intégration africaines est sans cesse menacée de crises qui en partie menacent tout simplement son existence. Il faut faire la même constatation concernant toutes les amorces d'intégration comparables, c'est à dire particulièrement ambitieuses du point de vue politique, en Afrique. Une orientation idéologique très différente qu'on peut constater

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dans nombre de cas depuis l'accession à l'indépendance politique, des politiques économiques et de développement souvent très divergentes, des orientations de politique étrangère variées, des jalousies nationales entre les Etats et d'autres facteurs, parmi lesquels surtout de graves différences, qui s'approfondissent et augmentent, dans le niveau de développement, ont entre autres conduit à la dissolution de “L'Organisation des Etats riverains du Sénégal" (OERS) et à ce que “l'Union douanière et économique de l'Afrique centrale“ (UDEAC) ainsi que la “Communauté Est-africaine" (CEA) soient sans cesse agitées de crises menaçant leur existence.1
Considérant ces expériences, il en résulte nombre de doutes au sujet de la stabilité de la CEAO également; c”est en particulier le potentiel économique si différent des 6 pays membres qui contient des conflits en puissance.
Citons dans ce contexte, quelques chiffres2: en 1970, les partenaires de la CEAO disposaient ensemble d'un produit intérieur brut de plus de 800 milliards de francs CFA. Ils se répartissent a pas moins de 41,9 % sur la Côte d'Ivoire, à 24,3 % sur le Sénégal, à 10,6 % sur le Niger, Etat du désert, à 9,5 % sur le pays continental de Haute-Volta, sur le Mali, second Etat du désert de la Communauté, à 8,9 % et à 4,7 % seulement sur la Mauritanie. Au cours de la même année, le revenu par habitant s'élevait en Côte d'Ivoire à environ 71300 francs CFA, au Sénégal à 52400 francs CFA, en Mauritanie à 32000 francs CFA, au Niger à 20700 francs CFA, au Mali à 16100 francs CFA et en Haute-Volta à 13800 francs CFA. Si on tient compte en outre, que de toute façon les pays membres de la CEAO font déjà presque tous partie, suivant la terminologie de l'ONU, du groupe des “pays les moins développés“3 et souffrent depuis des années du fléau de la sécheresse, et que de ce fait les divergences de développement existantes s'accroîtront encore, il est évident qu'il faut juger avec prudence de l'évolution future de la CEAO. Et même le fait que son traité de fondation attache expréssément une attention particulière aux intérêts des partenaires plus faibles, en stipulant par exemple un système raffiné de commerce intérieur pour la protection de ces pays, ne peut rien

Carte du Liptako-Gourma

Union d'Etats en Afrique occidentale

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modifier de fondamental dans cette appréciation.

Une coopération plus flexible serait-elle une issue?

Considérant cette situation, la question se pose si l'aspiration des pays africains en voie de développement å une coopération institutionalisée aussi étroite que possible entre pays limitrophes, ne serait pas mieux réalisée par des accords de coopération souples et flexibles à la place d'unions de la nature de YOERS, de l'UDEAC de la CEA et éventuellement aussi de la CEAO. Ifexistence du Conseil de l'Entente, incontestée pour Fessentiel depuis 15 ans malgré de nombreuses crises, parle en faveur de la justesse de cette hypothèse, (concernant le Conseil de l'Entente, voir entre autres AFRIKA vol. XII no 5 p. 6 à 8).
Comme on le sait, 3 autres républiques d'Afrique occidentale, à savoir, la Mauritanie, le Sénégal et le Mali, ont tiré entre autres de l'échec de l'OERS la conséquence de ne collaborer à l'avenir dans “l'Organisation de mise en valeur de fleuve Sénégal“ (OMVS), crée à cet effet en 1972, que de façon moins ambitieuse, plus souple, et ayant précisément à cause de cela une base promettant davantage de succès, (concernant cette dernière organisation, voir entre autres AFRIKA vol. XIV no 4 p. 8 à 11).

Le proket de 3 Etats: Liptako-Gourma

Dans ce contexte “l'Autorité de développement intégré de la région du Liptako-Gourma“ (ADIRLG), qui ne s'est cependant guère fait connaître à l'extérieur de l'Afrique occidentale, mérite une attention particulière. Ici aussi les efforts de développement de 3 pays limitrophes, c'est-à-dire le Mali, la Haute-Volta et le Niger, doivent être coordonnés dans certains domaines à un niveau apolitique et purement économique.
La région de Liptako-Gourma, qui s'étend sur une superficie totale d'environ 470000 km2 sur des parties de ces 3 Etats, est délimitée à peu près par les points suivants: Po, situé au sud de la capitale voltaïque Ouagadougou, Gaya au sud-ouest du Niger ainsi que Kidal et Tombouctou, deux localités situées dans le sud-est du Mali. L'art. 4 de la “Convention portant statuts de l'Autorité de développement de la région du Liptako-Gourma", signée le 3 juin 1971 à Bamako, fixe les objectifs suivants à la Communauté: “L'Autorité a pour objet de promouvoir en commun dans un cadre régional la mise en valeur et le développement des ressources minières, énergétiques, hydrauliques, agricoles, pastorales et piscicoles à l'intérieur de la zone du Liptako-Gourma ...“
L'art. 5 du traité stipule en outre que pour atteindre ces objectifs:
“L'Autorité réalisera la mise en valeur et le développement des ressources du Liptako-Gourma par:

  • des études: économiques, de projet, de pré-investissement.
  • la recherche de financement pour les projets concernant l'infrastructure, l'énergie, les mines, l'élevage, l'agriculture, l'hydraulique et la pêche.
  • la recherche ou la mise sur pied de sociétés participant à la réalisation des projets étudiés et retenus dans tous les domaines précédemment cités.

Objectif: une infrastructure moderne

La construction d'un système moderne d'infrastructure est la condition sine qua non d'une mise en valeur économique, même partielle, des ressources de la région de Liptako-Gourma. Dans ce cadre revient pour sa part, une importance notable - comme le constate d'ailleurs expréssement le “programme d'actions prioritaires" adopté par le Conseil des ministres de l'ADIRLG - à l'extension jusqu'au Mali et au Niger der la voie ferrée (Régie des Chemins de fer Abidjan-Niger, RAN) qui ne conduit aujourd'hui que d'Abidjan, Côte d'Ivoire, à Ouagadougou (Haute-Volta centrale). On pense d'une part à une voie ferrée Ouagadougou-Kaya-Dori-Tambao-Ansongo (Mali) et d'autre part, à un embranchement de Dori par Tera jusqu'à Niamey (Niger). Concernant ce projet, on a jusqu'à présent établi non seulement des études sur les possibilités d'éxécution technique, mais en outre l'Autorité du Liptako-Gourma a mené déjà des pourparlers de financement avec des représentants de la Banque mondiale, du gouvernement français, du gouvernement japonais et évidemment aussi du Fonds européen de développement déjà très actif dans cette région depuis plusieurs années, et il semble que ceux-ci aient conduit à des résultats positifs. Si néanmoins ce projet communautaire malien-voltaïque-nigérien n'a pas encore davantage abouti, c'est surtout à cause des frais incroyablement élevés de construction de la voie ferrée, qui traverse surtout des régions semi-désertiques et semblables à des steppes mais à l'occasion aussi de pures régions désertiques.
Le “programme d'actions prioritaires" déjà cité prévoit en outre des études pour la mise en valeur économique du fleuve Niger par la construction d'un canal sur le trajet de Tombouctou à Niamey, d'une longueur d'environ 850 km. On pense dans ce contexte entre autres à la construction de barrages à Tossaye (Mali) et à Kandadji (Niger). Il convient de remarquer qu'il y a des années déjà, un groupe franco-américain, a établi des études concernant ce dernier projet de barrage et n'est en Foccurrence tout au moins pas arrivé à un résultat négatif. De cette mise en valeur de ce secteur du fleuve Niger on escompte pour tous les Etats intéressés, c'est-à-dire le Mali, la Haute-Volta et le Niger, en dehors d'avantages dans les transports par eau, également des avantages dans le domaine de la production d'énergie ainsi que dans l'agriculture et la pêche. On prévoit enfin pour la région Liptako-Gourma un large aménagement du réseau routier, jusqu'à présent inexistant ou tout au moins insuffisant.
La question si les projets cités, qui sont absoluments onéreux, de même qu'un grand nombre de projets plus petits pourront un jour être transposés dans les faits dépendra surtout de la réponse à la question si les gisements en richesses du sous-sol supposés dans la région ou déjà découverts vaudront d'être exploités malgré des frais secondaires si élevés. Le potentiel agricole, qui de plus a tellement souffert et cela encore long terme, de l'actuelle calamite de la sécheresse et en souffrira encore, ne pourra certes jouer en l'occurrence qu'un rôle très subordonné.

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Les ressources de Liptako-Gourma

En ce qui concerne les richesses minérales, l'intérêt des entreprises de prospection s'est concentré jusqu'alors sur 4 projets: les gisements de manganèse å Tambao (nord de la Haute-Volta) et Ansongo (Sud-est du Mali) ainsi que sur les gisements de phosphate a Bourem (Vallée du Tilemsi, sud-est du Mali) et les gisements de calcaire de Tin-Hrassan (nord de la Haute-Volta).
L'exploration des découvertes de manganèse a Tambao, entre autres par le Fonds d'aide et de coopération française (FAC) et par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a établi qu'il s'agit en l'occurrence de gisements très riches. S'il ne fallait pas résoudre le problème des frais secondaires si élevés déja mentionnés, il n'y aurait ancun doute qu'ils vaudraient la peine d'être exploités. On peut probablement dire aussi quelque chose de semblable du résultat des études entreprises depuis 20 ans environ par diverses autorités françaises concernant les gisements de manganèse d'Ansongo. En raison de la situation encore plus défavorable du point de vue des communications, l'extraction du minerai absorbera cependant ici des sommes encore plus élevées que même à Tambao. La prospection des gisements de calcaire a Tin-Hrassan, qui ne semble pas terminée à ce jour, a fait ressortir que ce sont jusqu'alors surtout des problèmes d'adduction d”eau qui se sont opposés à leur mise en valeur économique y compris leur transformation en ciment sur les lieux. Ce n'est que l'étude plus approfondie des gisements de phosphate de Bornem, entreprise d°ailleurs par une firme allemande, qui a conduit jusqu'alors a un résultat négatif concernant leur rentabilité d'exploitation. Il faut attendre si, et éventuellement en combien, de nouvelles études conduiront ici et dans d'autres domaines, à des résultats positifs.

Il est en tout cas établi maintenant déjà qu'une exploitation des richesses du sous-sol au Liptako-Gourma, une intensification de toutes les branches intéressées de l'agriculture ainsi qu'enfin les nouvelles constructions ou les réparations si importantes du réseau des communications, ne pourront être réalisées qu'en projet communautaire malien-voltaïque-nigérien. On ne peut donc que se féliciter que les responsables des 3 pays limitrophes Mali, Haute-Volta et Niger aient entrepris par la fondation de l'Autorité de développement intégré de la région du Liptako-Gourma, un pas très important vers la concrétisation de leurs efforts de développement. Cette organisation peut puiser sa force peut-être précisément dans le fait qu”elle ne réclame de ses Etats membres que des sacrifices de souveraineté relativement très réduits.

  1. Les membres de l'OERS étaient la Guinée, le Sénégal, la Mauritanie, et le Mali; les membres de l'UDEAC sont le Cameroun, le Gabon, la République populaire du Congo ainsi que la République Centrafricaine, alors que le Tchad a quitté l'UDEAC; les membres de la CEA sont la Tanzanie, le Kenya et l'Ouganda.
  2. Suivant “Le Soleil“ (Dakar) du 18 avril 1973 p. 4.
  3. C'est à dire les Etats auxquels s'appliquent en prinqipe les critères suivants: un produit intérieur par habitant cle 100 dollars US au maximum, une part de production industrielle au produit national brut de 10 % au maximum, ainsi qu'un taux d'analphabètes de la partie de la population âgée de plus de 15 ans d'au moins 80 %.
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