African Questions

Publications of Dr. Klaus Frhr. von der Ropp

Political Observer and Consultant on Southern African Issues

Événements

La Commission du bassin du Lac Tchad

Davantage d'indépendance économique

par le Dr Klaus Baron von der Ropp

La fin des années 50 et le début des années 60 étaient en grande partie marquées en Afrique subsaharienne par les efforts des puissances coloniales de l'époque et des territoires dépendants alors encore d'elöes, de négocier les conditions d'accéssion à l'indépendance nationale de ces derniers. On manifesta par contre, à quelques exceptions près comme la Tanzanie, le Mali, la Guinée, et le Ghana, relativement peu d'intérêt au problème de l'accéssion à l'indépendance économique. Car les tâches résultant de l'accéssion des jeunes Etats à l'indépendance nationale paraissaient tout d'abord trop importantes. Aujourd'hui au contraire, il n'y a guère de sujets dans les pays entre la zone sahélienne et Le Cap, qui soient aussi ouvertement et intensément discutés que ceux de l'émancipation culturelle et aussi économique des pays africains.

Les initiatives de l'Afrique francophone

En dehors du Nigéria, ces discussions paraissent être menées actuellement de la façon la plus intense dans les pays francophones d'Afrique. Car si là bas, la conception de l'ancien Président français, le Général Charles de Gaulle, de création d'une communauté franco-africaine institutionalisée n'a jamais été réalisée, il n'empêche qu'à ce jour a subsiste entre l'ancienne métropole et ses anciennes colonies quantité de relations politiques, culturelles, militaires, monétaires et surtout économiques très étroites. La plupart des intéressés reconnaissent bien aujourd'hui encore que le maintien de nombre de ces contacts continue d'être dans l'intérêt réciproque, mais depuis l'année 1972 environ, avec pour le moment “le mai malgache" comme point culminant, on a entendu de nombreuses critiques au sujet des accords de coopération franco-africains alors en vigueur. Sur quoi des responsables français ainsi que ceux des pays partenaires africains se sont livrés à de nouvelles réflexions sur de nombreux aspects de la coopération en cours, précisément dans les secteurs monétaire et économique. C'est ainsi par exemple qu'au cours des années 1972 et 1973, la coopération monétaire de la France avec 13 Etats africains, a été réorganisée ou dénoncée: la Mauritanie et Madagascar quittèrent la zone Franc dans le cadre de leur politique de création d'une monnaie nationale. Les traités de la France avec les pays membres de l'Union monétaire ouest-africaine (UMOA, c'est å dire aujourd'hui encore les Républiques du Sénégal, de Haute Volta, du Niger, du Dahomey et du Togo ainsi que de Côte d'Ivoire) et avec les pays membres de l'Union monétaire équatoriale (UME, c'est å dire le Cameroun, le Gabon, la République Populaire du Congo, le Tchad et la République Centrafricaine) furent revisés sur quelques points importants en faveur des pays africains. En outre on renégocia dans leur totalité les traités de coopération avec le Caméroun, le Gabon, le Sénégal, la Republique Populaire du Congo, le Niger, et surtout avec la Mauritanie et Ma-

27
Événements

dagascar; des négociations correspondantes sont encore en cours, tout au moins avec le Togo et leDahomey. D'autres Etats, comme par exemple la Côte d'Ivoire, ont préferé adapter plus ou moins tacitement la coopération actuelle aux données modifiées.

Les mobiles des aspirations à l'émancipation économique

Le Président du Togo, le général Eyadéma, a exposé les mobiles de ces aspirations à l'émancipation dans le domaine économique dans un discours au cours de sa visite officielle en République de Libye: “Il est temps que les économies de nos Etats cessent d'être des appendices des économies des pays riches ...“1) L'exigence de “liberté économique totale des pays africains“2) du communiqué commun d'alors des délégations togolaise et libyenne se situe au même niveau. Le Président de la Mauritanie, M. Moktar Ould Daddah, indiqua comme motif de la réorientation économique radicale de son pays par rapport à la France “... la concrétisation de notre totale souveraineté ...“ On entend depuis plusieurs années des formules similaires émanant de Brazzaville, de façon particulièrement nette depuis 1972 de Tananarive, à l'occasion aussi de Bangui et actuellement dans une mesure croissante de Lomé, de Cotonou Porto Novo et surtout de Yaoundé.
Dans d'autres pays, et surtout en Côte d'Ivoire, se déroule le même processus, mais d'habile façon diplomatique et relativement sans bruit. La politique d'Abidjan n'a jamais visé å nationaliser les succursales d'entreprises européennes, en l'occurrence surtout françaises ainsi que syro-libanaises; elle cherche plutôt à élargir l'influence du pays d'accueil sur son économie par l'acquisition de participations en capitaux et par l'africanisation des cadres de ces succursales. Il est évident que la question si, et éventuellement en combien, le maintien d'étroites relations économiques avec la France est indispensable reçoit dans les pays africains des réponses très différentes. Mais une chose devrait être incontestable: le relâchement des relations avec les anciennes puissances coloniales, si souhaitable qu'il puisse être dans certains cas, sera d'autant plus réalisable que les pays africains réussiront une trés étroite coopération entre eux dans les domaines monétaire, financier et économique. Il est suffisamment connu que les Communautés européennes, dont des Etats membres comme la République fédérale d'Allemagne, la Grande Bretagne, la France, l'Italie, la Belgique et la Hollande, disposent d'un très grand potentiel économique, ont été crées surtout parce qu'on a reconnu que dans le cas contraire ses membres ne pourraient guère s'imposer dans l'actuel système international. Et cela est d'autant plus vrai pour les pays en voie de développement du continent africain.

Amorces de coopération et d intégration africaines

Il conviendrait donc de noter avec un vif interêt que ces mois-ci les 15 Etats indépendants d'Afrique occidentale essayent à nouveau, à la suite d'une initiative du Nigéria et du Togo, de créer une “Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest“ (CEDEAO). L'expérience faite,mavec d'autres Communautés économiques africaines et organisations similaires existants parfois déjà depuis des décennies, comme la Communauté économique de l'Afrique de l'ouest, l'Union douanière et économique de l'Afrique centrale, l'Union des Etats de l'Afrique centrale, ainsi que la Communauté est - africaine oblige à observer la prochaine création de la CEDEAO avec beaucoup de scepticisme. Car tout comme les Communautés européennes, les amorces d'intégration africaine citées n'ont jamais été exemptes de crises graves. De ces crises, sont responsables les divergences dans le potentiel de développement des divers Etats membres, leur orientation idéologique souvent différente, des politiques économiques et de développement différentes, des différences d'orientation en politique étrangère, des divergences tendant à s'agrandir dans le niveau de développement et bien d'autres choses encore. La question s'élève donc de savoir si des amorces d'intégration souple ne conviennent pas actuellement mieux pour réaliser une coopération régionale en Afrique, précisément en raison de leur nature flexible et souvent apolitique. Il convient de citer dans ce contexte un certain nom-

  1. Togo-Presse, Lomé, du 3 Novembre 1973, pp. 1 et 4
  2. Togo-Presse, Lomé, du 3 Novembre 1973, pp. 5 à 6
28
Événements

bre d'organisations dont quelques-unes ont travaillé au cours des années écoulées avec assez de succès et souvent plus de succès que les communautés économiques mentionnées ci-dessus: le Conseil de l'Entente, ayant pour membres la Côte d'Ivoire, la Haute-Volta, le Niger, le Togo, et le Dahomey; l'Organisation Liptako-Gourma, ayant pour membres le Mali, la Haute-Volta, et le Niger, l'Organisation de mise en valeur du fleuve Sénégal avec comme membres le Sénégal, le Mali, et la Mauritanie, ainsi qu'enfin la Commission du Bassin de développement du Lac Tchad dont les chances actuellement se présentent de façon particulièrement favorable.

L'Organisation de la Commission du bassin du Lac Tchad

La Commission du bassin du Lac Tchad (CBLT) a été fondée le 22 mai 1964 par les 4 Etats riverains du Lac Tchad, les Républiques du Nigéria, du Niger, du Tchad et du Cameroun, en vue du développement de la région. En font donc partie avec le Nigéria et le Cameroun les puissances économiques dirigeantes d'Afrique occidentale et d'Afrique orientale et avec le Niger et le Tchad deux des Etats d'Afrique particulièrement mal placés dans le domaine du potentiel de développement. La CBLT couvre un territoire d'environ 430000 km2 situé pour plus de 2/3 dans les zones arides ou semi-arides au nord du douzième degré de latitude. Sur celui-ci vivaient en 1970, environ 5500000 hommes, dont 3/5 à peine au Nigéria, respectivement 1/5 à peine au Tchad et au Ca-

Carte du bassin de Lac Tchad

29
Événements

meroun et les autres au Niger. Les chiffres suivants illustrent combien réduit est aujourd'hui encore le produit national brut de la région CBLT: les 5,5 millions d'habitants travaillant pour ainsi dire tous dans les domaines de l'élevage, de la pêche et de l'agriculture, n'ont produit, même au cours d'une année de précipitations normales que des biens d'une valeur d'environ 400000000000 FCFA. Les périodes de sécheresse de plusieurs années qui réapparaissent régulièrement, provoquent la destruction de 80 à 100 % des récoltes et de 30 à 80 % des troupeaux. On se souvient encore de la très grave période de sécheresse de 7 ans qui ne s'est terminée que l'année dernière, avec toutes les conséquences imprévisibles qu'elle entraîne.
L'objectif suprême de la CBLT est de permettre la meilleure exploitation économique possible des nappes d'eau existantes de la région ainsi que de prospecter et de mettre en valeur d'autres nappes. Il est évident qu'il résulte dans ce contexte quantité de problèmes, par exemple dans le domaine de l'utilisation du bétail ou dans le domaine de l'environnement; la CBLT leur consacre également son attention.
L'organe le plus important de la CBLT est la Commission à laquelle chacun des 4 Etats membres envoie deux commissaires et qui se réunit régulièrement deux fois par an. La CBLT dispose en outre à Ndjamena - anciennement Fort Lamy -, lieu de sa fondation en 1964, d'un secrétariat exécutif dont les 5 divisions techniques permanentes sont compétentes pour les tâches suivantes:
hydraulique et génie civil
agriculture
élevage
pêche et sylvilculture
ainsi qu'économie en général.
En 1973, la CBLT disposait d'un budget administratif d'un montant de 500000 dollars US. Celui-ci est alimenté d'une part par les contributions de ses membres, et d'autre part probablement aussi par des subventions extérieures. Les contributions des 4 Etats membres s'élèvent à respectivement 1 millième de leur budget national. Depuis sa fondation au mois d'octobre 1972, à la suite d'un accord entre les Chefs d'Etat des 4 pays membres, la CBLT dispose en outre d'un Fonds de développement. Ce Fonds a été alimenté jusqu'alors essentiellement par des subventions des Etats-Unis, de la France, de la Grande Bretagne et surtout du Programme des Nations-Unies pour le développement. On espère qu'il bénéficiera à l'avenir de 3 millions de dollars US par an; en 1973, les contributions ne s'élevèrent qu'à un peu plus d'un million de dollars US. Le secrétariat exécutif dispose actuellement d'une vingtaine d'universitaires et d'une trentaine d'autres collaborateurs; la CBLT occupe en outre comme non permanents un grand nombre d'auxiliaires qui travaillent en particulier dans les divers projets de développement de la CBLT.

Le Programme de développement régional

On peut diviser les tâches de la CBLT en deux domaines principaux: les projets du Programme de développement régional et ceux du Programme à moyen terme de lutte contre la sécheresse. Ce dernier n'a été élaboré par la CBLT et le Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) qu'en raison de la récente période de sécheresse; les deux programmes sont harmonisés et se complètent.
Le Programme de développement régional sert à la promotion à long terme des branches économiques existant déjà dans la région. L'un de ses objectifs est de rendre l'agriculture, la pêche et la sylviculture plus indépendantes des périodes de sécheresse se produisant régulièrement. Dans le cadre de ce Programme, il convient de faire ressortir en particulier le développement de l'élevage à Assalé-Serbewel, l'édification d'un centre de développement de l'agriculture et d'un centre de développement de la pêche dans chacun des 4 Etats membres de la CBLT et enfin l'établissement d'une stratégie régionale pour l'exploitation des nappes d'eau existantes. Dans les districts camerouno-tchadiens d'Assalé-Serbewel situés des deux côtés de la rivière frontalière du Chari entre Ndjamena et le lac, on va créer sur une superficie de 5300 km2 une entreprise pilote d'élevage dont les fondateurs espèrent qu'elle servira d'exemple à des régions à conditions écologiques similaires. Les centres de gravité de ce projet seront entre autres la meilleure utilisation des superficies de pâturage existantes, la production de fourrage pour la saison de sécheresse ainsi que la lutte contre les épizooties et enfin, point particulièrement important, la commercialisation et l'exploitation économique du bétail.
Des centres de développement agricole seront crées a Diffa (Niger) à N'Gala, (Nigéria), à Fort-Foureau (Cameroun) et Koundoul (Tchad). Leur axe d'effort sera situé très nettement dans le domaine de l'intensification de l'utilisation des sols tant dans le secteur de l'agriculture que dans celui de l'élevage et cela par l'irrigation artificielle; ces centres serviront en même temps à la formation de paysans venant de régions a exploitation agricole apparentée. L'installation de 4 centres de développement de la pêche à Gortogol (Niger), Baga (Nigéria), Dole (Cameroun) ainsi qu'à Heykoulou (Tchad) servira surtout à la formation de pêcheurs dans les domaines de l'amélioration des moyens et des méthodes de pêche, du traitement du produit de la pêche ainsi que de l'organisation de la commercialisation dans les centres de consommation. Et il sera enfin d'une importance particulière si, comme prévu, la CBLT réussit à élaborer une stratégie générale d'exploitation des nappes d'eau de la région. Notons pour conclure que la Commission CBLT a déjà entamé il y a quelques temps des négociations, entre autres avec la Banque africaine de développement, sur les possibilités de financement de projets de construction routière dans la région en cause. Des négociations sur des échanges exempts de taxes douanières de certains produits agricoles à l'intérieur du territoire des 4 pays CBLT ne semblent pas avoir abouti jusqu'alors à un résultat positif.

Le Programme de lutte contre la sécheresse

A la suite de la déclaration en „zone sinistrée“ au mois de décembre 1973 du territoire de la CBLT, les responsables présentèrent un Programme à moyen terme de lutte contre la sécheresse, élaboré en commun par la CBLT et le PNUD. Il contient un grand nombre de petits projets dont la réalisation revêtit un rang parti-

30
Événements

culièrement urgent considérant la sécheresse encore persistante à l'époque et qui se présentaient comme compléments du programme de développement à long terme déjà mentionné ci-dessus. Les projets cités ci-aprés méritent une évocation particulière; il convient aussi de faire remarquer qu'un grand nombre de ces projets a déjà été en partie réalisé grâce à l'aide matérielle des Etats-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et surtout du PNUD.

  1. Aménagement périmètre fourrager delta Chari
  2. Aménagement hydraulique pastoral des Yaérés
  3. Aménagement hydraulique pastoral Maine Soroa
  4. Utilisation agro-pastorale de l'eau artésienne plaine Kadzell
  5. Vulgarisation embouche paysanne à partir des 4 centres agricoles
  6. Création d'un périmètre d'irrigation à Bosso
  7. Aménagement hydraulique du Centre de Diffa
  8. Aménagement hydraulique du Centre de N'Gala
  9. Développement de 500 ha d'agriculture irriguée dans les polders de Bol
  10. Etude de la factibilité du casier A de Bongor
  11. Création de 4 centres de développement de la pêche
  12. Création de 4 centres de reboisement
  13. Aménagement sylvo-pastoral autour des forages d'Assalé-Serbewel
  14. Etude et surveillance de la nappe phréatique à la périphérie du lac Tchad.

On peut parfaitement admettre que le succès ou l'échec de la CBLT aura une importance considerable non seulement pour la région qui est ici en cause. Si la CBLT réussissait à réaliser ses projets cela aura pour résultat qu'on s'attaquera à des projets communautaires similaires dans d'autres régions du continent. On fournira ainsi à long terme une contribution pour que, dans le domaine économique aussi, l'Afrique devienne plus indépendante des anciennes puissances coloniales. Si par contre ces projets communautaires étaient voués à l'échec, on ne pourra guère éliminer la dépendance qui indubitablement existe aujourd'hui encore.

31